Une petite place

[Selena Edelwes]

// Even Mecyan était toujours en train de réfléchir à la suite de son enseignement. Kaena était-elle prête à... Kaena semblait prête à tout. Le maître marchombre était ravi de voir tant de motivation chez la jeune fille. Il était d'autant plus ravi que les actes de Kaena étaient à la hauteur de la flamme qui brillait dans ses yeux, avantageusement mise en valeur par sa chevelure éclatante. Ses cheveux était une parfaite représentation graphique de son âme : dynamiques, flamboyants, prompts à suivre les moindres mouvement du vent... Even coupa court à ses divagations pour reporter son attention sur les paroles de son apprentie. //

- Si je me concentre sur vous, sur toi, pardon pour te suivre, il va falloir que je repère un élément de l'environnement reconnaissable pour ensuite retrouver mon chemin.

// Le passage au tutoiement fit sourire Even. Son apprentie n'avait encore jamais osé (voulu, peut-être) le tutoyer, et voilà qu'elle effectuait une transition en douceur, sous forme d'excuse. Elle ne s'en était sans doute elle-même pas rendu compte. Cette question d'apparence anodine était souvent révélatrice de la relation qu'un apprenti entretenait avec son maître. Tandis que certains ne parvenaient jamais à tutoyer celui qui les guidait sur la Voie, d'autres n'auraient jamais imaginé dire autre chose que "tu" à leur maître. Et c'était pour n'évoquer que les cas extrêmes... Sur une suggestion de son maître, le jeune apprenti Mecyan avait beaucoup travaillé sur ce sujet, allant jusqu'à interroger la quasi totalité des marchombres qu'il connaissait pour enrichir son étude. Il lui avait fallu quelques mois pour résumer le sujet en deux mots : complexité et diversité. Ce fut passionnant.
Sentant que Kaena avait fini de mener ses réflexions, Even se retourna vers elle pour cueillir sa conclusion : //

- Oui, je comprends.

- Herm.

// Le marchombre se fit remarquer une énième fois qu'il avait une éloquence de raï, avant de chercher à répondre plus intelligiblement à son apprentie. //

** Herm. Je peux penser avec une éloquence de raï, puisque personne ne m'entend... Herm, elle a dit quoi, déjà ? Ah, oui ! **

// Avec une voix douce et posée qui contrastait avec la qualité de ses élucubrations intérieures, Even annonça : //

- Ce n'est pas exactement ce que j'entendais. Cependant, c'est également une solution. A toi de trouver celle qui te convient le mieux, mais je vais tenter de t'expliquer celle qui sied à ma personnalité.

** Je parle raï, je pense raï... Mais je sais aussi parler humain, je crois. Et je me déplace marchombre. Pas raï. ** pensa-t-il, désabusé.

- Quand je dois me focaliser sur un unique point, je me force à ne pas laisser mon attention dériver vers ce qui nous entoure. Je ne repère pas d'éléments, car ce serait détourner mon attention de la "cible". Mais mon attention reste globale et je suis sensible à tout ce qui m'entoure, même si je ne l'analyse pas. Cela me permet de mémoriser de façon intuitive les lieux que je parcours. Je serais incapable de les décrire, mais je peux m'y repérer sans peine.
C'est plus clair ? Ou plutôt, qu'as-tu compris ? demanda-t-il, songeant que c'était la manière la plus efficace de le savoir.

// Après un moment, le maître marchombre se décida à reprendre la parole. Il se frotta l'arrête du nez tel un vieux professeur qui vient d'ôter ses lunettes, et demanda, extrêmement sérieux, sans saisir l'absurdité de ses paroles : //

- Un marchombre peut-il imiter un raï ?

[Winona]

- Herm.

// Les réponses de son maître étonneront toujours Kaena Will'Hakan. Il y avait toujours une pointe de sagesse dans ses paroles, mais là, elle n'arrivait pas à saisir laquelle. Elle n'eut pas à s'interroger longtemps puisque déjà il reprenait. //

- Ce n'est pas exactement ce que j'entendais. Cependant, c'est également une solution. A toi de trouver celle qui te convient le mieux, mais je vais tenter de t'expliquer celle qui sied à ma personnalité.

** D'accord, je vais essayer de tester sa façon de faire, enfin, faut-il toujours qu'il me l'explique ! **

// La jeune fille attendit tranquillement la suite de l'explication d'Even. Elle savait être très patiente. Mais cette fois-ci, elle n'eut pas à attendre longtemps. //

- Quand je dois me focaliser sur un unique point, je me force à ne pas laisser mon attention dériver vers ce qui nous entoure. Je ne repère pas d'éléments, car ce serait détourner mon attention de la "cible". Mais mon attention reste globale et je suis sensible à tout ce qui m'entoure, même si je ne l'analyse pas. Cela me permet de mémoriser de façon intuitive les lieux que je parcours. Je serais incapable de les décrire, mais je peux m'y repérer sans peine. C'est plus clair ? Ou plutôt, qu'as-tu compris ?

// La rouquine analysa en détail les paroles d'Even Mecyan. Elle essaya de s'imaginer en train de suivre, ou plutôt de poursuivre son maître ou un autre être humain ou animal dans un environnement quelconque. Les montagnes furent les premières choses qui vinrent à l'esprit de Kaena. Elle s'imagina donc en train de poursuivre cette chose, en ne se focalisant que sur elle, mais avec une attention totale pour enregistrer sans s'en apercevoir son environnement. Évidement, le tester en vrai sera plus intéressant que de le faire dans son esprit, puisque les endroits qui lui venaient à l'esprit étaient ceux qu'elle connaissait déjà et qu'elle avait arpentée au moins une fois. Elle ne put aller plus loin dans ses réflexions ni même répondre à la question posée qu'elle l'entendit dire : //

- Un marchombre peut-il imiter un raï ?

// La première réaction de Kaena fut d'exploser de rire, réaction due à une question aussi saugrenue. Quelques secondes plus tard, elle pouvait parler normalement. //

- Pour la question précédente, oui, je pense avoir compris. Un Marchombre imiter un Raï ? Je dirais qu'imiter est un grand mot. Mais un Marchombre avec sa capacité d'adaptation pourrait reproduire ses gestes ou leur façon de parler, probablement de façon plus délicate quand même.

// La jeune fille se représenta côte à côte un Marchombre avec sa discrétion et sa finesse, et un Raï avec sa lourdeur et son imposante stature. Non, il n'y avait vraiment rien qui puisse les rapprocher l'un de l'autre. //

[Selena Edelwes]

// Le rire de Kaena ramena le maître marchombre à la réalité. "Un marchombre peut-il imiter un raï ?" ... Il avait vraiment dit ça ? Il avait vraiment pensé cela ? Sérieusement ? Eh bien oui. Le rire d'Even Mecyan se joignit à celui de son apprentie. Tout ça était de la faute de son propre apprentissage, du goût du maître d'Even pour les réflexions de toutes sortes ! Il était certes facile de rejeter la faute sur les autres, mais Lunilo y était objectivement pour beaucoup. Il faut dire que lui-même avait était formé par le grand, le terrible, le majestueux Crétin. Pardon. Amarel Farmor. Even ne l'avait jamais rencontré personnellement, mais il n'avait pas encore déterminé si c'était une chance ou non... //

- Pour la question précédente, oui, je pense avoir compris.

** Très bien, nous verrons cela tantôt. **

- Un Marchombre imiter un Raï ? Je dirais qu'imiter est un grand mot. Mais un Marchombre avec sa capacité d'adaptation pourrait reproduire ses gestes ou leur façon de parler, probablement de façon plus délicate quand même, répondit Kaena, interrompant sa généalogie mentale dépréciative.

// Dans ses moments là, Even adorait son maître. Avoir une conversation posée sur les capacités comparées d'un marchombre et d'un raï... Ce n'était pas donné à tout le monde ! Lunilo aurait été fier de lui. //

- Eh bien...

// Even Mecyan avait produit une onomatopée qui ne ressemblait pas à du raï ! Pour un peu, il en aurait dansé de joie. Se maîtrisant de justesse, il se contraignit à reprendre le fil de sa réflexion. //

- Dans ce cas... Un raï peut-il devenir marchombre ?

// Even avait cette fois conscience de l'ineptie de sa question. Pourtant, il lui semblait que considérer cette idée était d'un intérêt primordial. Héritage de Lunilo, et peut-être à travers lui - et ce même si Even Mecyan n'était pas prêt à s'en vanter - d'Amarel. //

** J'ai entendu dire que Cré...marel avait un nouvel apprenti, songea-t-il avec sournoiserie. Je me demande s'il est aussi... Comme ça ! éluda-t-il avec une certaine pudeur intellectuelle. Peut-être un jour le saurai-je par moi-même...**

// Il laissa le temps à Kaena de répondre à sa passionnante question, avant de revenir au sujet initial. La sonnerie d'un beffroi proche lui apprit que le coucher du soleil était encore loin. Ils avaient largement le temps de retenter l'exercice du repérage, afin que l'apprentie puisse mettre en pratique ses conseils. //

- Nous allons recommencer. Tu vas me suivre en essayant d'appliquer mes conseils ou tes idées. Pour que ce soit plus... productif, je vais te tracer grossièrement l'itinéraire que je vais emprunter. En revanche, j'irai toujours aussi vite. Mais grâce au semblant de carte que je vais te montrer, tu auras une vague idée d'où nous sommes... Et tu pourras mieux te concentrer sur ta mission ! conclut-il avec un clin d'oeil.

// Even Mecyan chercha des yeux une pierre pouvant leur servir de craie, avant de se dire que la jeune fille avait certainement un crayon sur elle. Kaena adorait dessiner, et Even trouvait qu'un crayon était une excellente arme, quand il se retrouvait dans l'œil de quelqu'un. Par conséquent, il n'avait jamais tenté d'agir sur la passion de son apprentie, même si lorsqu'elle plongée dans un dessin... Sa vigilance équivalait à celle d'un pavé. Un marchombre peut-il être un pa... Non. Even se morigéna intérieurement : il en avait assez fait pour cette journée. //

[Winona]

// Even Mecyan riait encore quand Kaena répondit à son interrogation sur la ressemblance des marchombres et des raïs quand il enchaîna avec une question tout aussi saugrenue que la première. //

- Eh bien... Dans ce cas... Un raï peut-il devenir marchombre ?

// La jeune fille se demanda si son maître n'avait pas perdu la tête et que l'eau de la fontaine n'était au final pas si pure qu'elle en avait l'air. Pourtant Even avait retrouvé son sérieux et il semblait vraiment attendre une réponse de sa part. La rouquine en conclut qu'elle était loin de connaitre la doxa des marchombres et que son maître essayait de lui faire dire quelque chose d'important et de conceptuel avec ses questions incongrues en surface. //

- Pourquoi pas. Je pense qu'il y aurait quand même beaucoup de travail pour un raï. Il devrait acquérir de nombreuses capacités qu'il n'a pas naturellement, comme la discrétion, la délicatesse, l'agilité. Mais avec du travail, tout devient possible.

// Kaena écouta les bruits de la ville en dessous de la petite place en attendant une autre question encore plus farfelue que les précédentes. Elle commençait à connaître un peu son maître et elle s'attendait à tout de sa part maintenant. Elle savait qu'il allait toujours la surprendre, même si elle essayait de s'y préparer. Malgré ça, elle ne quitterait son maître ou ne changerait de vie pour rien au monde. Sans son apprentissage marchombre, sa vie serait bien plus melliflue. //

- Nous allons recommencer. Tu vas me suivre en essayant d'appliquer mes conseils ou tes idées. Pour que ce soit plus... productif, je vais te tracer grossièrement l'itinéraire que je vais emprunter. En revanche, j'irai toujours aussi vite. Mais grâce au semblant de carte que je vais te montrer, tu auras une vague idée d'où nous sommes... Et tu pourras mieux te concentrer sur ta mission !

// Recommencer ? Kaena commençait à être impatiente de pouvoir mettre en application tous les conseils qu'Even lui avait fournit au cours de l'après-midi. Le fait qu'elle allait avoir une idée de l'itinéraire la mis un peu plus en confiance. Au moins, elle saurait globalement la direction à prendre, même si elle savait parfaitement que dans une vraie situation autre qu'un exercice, elle n'aurait pas de plan préalable et qu'elle devrait vraiment suivre son maître au prix de sa vie.

Remarquant qu'Even n'avait rien pour tracer de plan et qu'il semblait attendre un peu, elle sortit son carnet et un crayon pour le tendre à son maître. C'était bien la première fois qu'elle le tendait à quelqu'un. //

[Selena Edelwes]

// La jeune apprentie paraissait partagée lorsqu'elle répondit à LA question. Partagée entre l'effroi et l'épouvante, par exemple. Ou bien entre l'épouvante et l'effroi. Les deux, peut-être... Even pouvait pourtant déceler une large part de sérieux dans les propos de Kaena. Si l'on passait outre la perplexité. //

- Pourquoi pas. Je pense qu'il y aurait quand même beaucoup de travail pour un raï. Il devrait acquérir de nombreuses capacités qu'il n'a pas naturellement, comme la discrétion, la délicatesse, l'agilité. Mais avec du travail, tout devient possible.

// Even Mecyan hocha simplement la tête. Le travail ne pouvait à son sens pas modifier la nature profonde de quelqu'un. Mais nos désirs le peuvent-ils ? Un raï qui tenterait de devenir marchombre serait-il toujours un raï ? Le maître eut la sagesse de remettre à plus tard la poursuite de cette passionnante séance de maïeutique et exposa donc comme si de rien était le déroulement de la prochaine mission de Kaena.
Even ne pouvait s'empêcher de comparer la douce patience de son apprentie à sa propre fougue quand il était à sa place. Combien de fois avait-il protesté avec animation contre "le temps perdu passé à pseudo-réfléchir sur des sujets incongrus" ? Lunilo avait sans doute cessé de compter dès la première fois. Even ne pouvait s'empêcher de rapprocher la patience de Kaena de celle de Lunilo. Peut-être était-ce cela, être marchombre ? Mais lui, qu'était il ? Un trait d'union sur la Voie ? Non, il était Even Mecyan, Maître Marchombre à sa manière, et s'il ne trouvait pas bientôt de quoi écrire il allait devoir modifier son exercice.
Remarquant un léger changement dans la respiration de Kaena, le maître marchombre se retourna vers elle. Avec un air étrange, elle lui tendait son carnet et son crayon. Comprenant la portée de ce geste, Even prit délicatement les objets : //

- Merci, murmura-t-il les yeux fichés dans ceux de son apprentie.

// Ce simple mot exprimait davantage que le plus long des discours en raï. Il prit soin d'ouvrir le carnet à une page immaculée, ne voulant pas trahir la confiance de Kaena en découvrant par mégarde l'un de ses dessins, puis traça à la va-vite un itinéraire. Il referma délicatement le carnet, puis après avoir caressé délicatement la couverture le rendit à sa propriétaire. Avec le crayon. Crayon dont il avait discrètement testé la résistance (la conclusion étant qu'en plus d'être bien taillé, il possède une forme aérodynamique qui en fait sans aucun doute une puissante arme de jet), évidemment. //

- Allons-y ! lança Mecyan avant de quitter la place, son apprentie sur les talons.

[Fin de RP]

[Elerinna Calaelen]

[Début de RP entre Yaaleen Armyan (Kat), Aksel Tzâfihyr (Thalia) et Aliya Tintallë (Ele)]

// Aliya arrivait tout juste sur la petite place. Elle avait pris bien plus de temps que nécessaire pour venir, empruntant les chemins les plus méconnus et se retournant à chaque instant pour vérifier qu'elle n'était pas suivie. Une prise de précaution à laquelle elle allait devoir s'habituer.

Depuis quelques jours, elle logeait dans une auberge et dans le luxe de ne pas avoir à voler pour se nourrir ou se réchauffer, elle eut tout le temps de réfléchir à la situation. Elle avait tout expliqué à Olörin et savait qu'il lui obéirait. Elle s'était également laissée aller à fomenter les pires plans, à voir son esprit divaguer vers les idées les plus vengeresses.

Le premier jour, emmitouflée près du feu de cheminée de l'immense chambre, laissant son frère et sa sœur profiter de leur première nuit dans un vrai lit, elle avait tout d'abord eu des envies de meurtre. Elle aurait voulu tuer tous les marchombres qui lui semblaient trop peu dignes de confiance, et toutes les personnes qui tenteraient de la poursuivre. En bref, elle aurait voulu faire flamber la ville. Le lendemain, une nuit de sommeil avait su calmer ses nerfs, et c'est à partir de ce jour qu'une idée avait émergée dans son esprit. Une idée folle, qu'Aksel ne cautionnerait jamais. Sans parler de la réaction de Yaaleen, qu'elle connaissait à peine. C'est pourquoi, quand elle avait reçu le mot du jeune homme lui donnant rendez-vous ici aujourd'hui, elle se décida à ne rien leur dire. Pour l'instant.

Adossée contre un mur, dans un coin ombragée de la petite place, elle attendait. Le regard à l'affut, elle dévisageait chaque passant avec précision. Elle ne pouvait prendre aucun risque, ni avoir confiance en personne.

Sauf en Aksel, évidemment. Un sourire en coin aurait presque pu apparaître sur le bout de ses lèvres lorsqu'elle repensait à la manière dont ils s'étaient rencontrés. Et dire qu'à ce moment-là, elle se pensait en grand danger. Elle n'avait encore rien vu ... Que faisait-il d'ailleurs ? Les cloches avaient sonné l'heure de leur rendez-vous depuis quelques minutes déjà. Une légère inquiétude apparut sur son visage. Si les mercenaires la recherchaient elle, ils ne tarderaient pas à le rechercher lui également, compte tenu du nombre de fois où il l'avait aidée. Par sa faute, il était en danger lui-aussi.

L'apparition d'une tignasse blond foncé à l'autre bout de la place su la rassurer un instant. Il était seul, et visiblement en bonne forme. //

[Thalia Gilsayan]

// Aksel zigzaguait entre les passant et les tournants de ruelle en maintenant une allure de course. Ce n'était pas si évident pour qui n'était pas habitué au dédale labyrinthique de la capitale ni aux foules des petites rues adjacentes aux voies principales, ce qui heureusement n'était pas son cas.

Dès la fin de la Réunion au Repaire des Marchombres, Aksel avait envoyé un chuchoteur à Aliya pour lui donner rendez-vous sur une petite place dans l'après-midi. Il s'étaient mis d'accord avec Yaaleen, la jeune Marchombre qui avait été désignée avec lui en charge de la protection d'Aliya, pour tenir la jeune fille au courant de la tournure des événements, comme l'apprenti Marchombre le lui avait promis quelques jours plus tôt. Ainsi, c'étaient bien les Mercenaires du Chaos qui étaient à l'origine du meurtre. Et il y avait dans cette nouvelle de quoi le troubler. Par l'identité du chef de la secte renaissante pour commencer, ou plutôt la chef : Idril Elenwë. Une Maître Marchombre qu'Aksel connaissait peu, mais qu'il respectait jusqu'à maintenant. Et ce n'était pas tout : de ce qu'il savait, Idril était une demi-Faëlle, comme lui ; elle était orpheline de ses deux parents, comme lui. Ainsi il décelait beaucoup de similitudes dans leurs histoires respectives - bien qu'il ne connaisse pas dans les détails celle de la traître à sa guilde - qui ne lui permettaient pas d'expliquer l'origine de la déchéance de l'ancienne Maître Marchombre vers le côté obscur, et vers des fins tant radicales que terrifiantes. Par quelle faille le Mal avait-il pu infiltrer l'âme de cette personne ? Était-il possible que ce Mal le prenne lui aussi, peu à peu, sans qu'il en ait conscience ?

Et puis, autre chose aussi. Deux noms. Deux noms qui flottaient dans son esprit comme une promesse de revanche et une lourde menace, ainsi qu'un remords poignant.
Mirù Erakan et Janos Lanor.
Ainsi, les deux hommes qui les poursuivaient l'autre jour n'étaient pas des Mercenaires. L'homme qu'Aliya avait tué était Marchombre. Et le Chaos avait achevé son compagnon.
Mirù Erakan.
Savoir que les Mercenaires avait assassiné deux Marchombres dans la force de l'âge, c'était une chose. Traîner le lourd secret de la véritable raison de la mort de l'un des deux, c'en était une autre.
Raisonnablement, il aurait du dénoncer la semi-culpabilité d'Aliya au Haut Conseil. Mais c'était une chose à laquelle il ne pouvait se résoudre. Il avait promis à la jeune fille dans les yeux qu'elle n'était pas coupable. Et bien qu'il le pense toujours, on ne pouvait pas nier les faits. Et quelle serait la réaction de la Guilde en apprenant la vérité ? Rien ne lui assurait qu'ils considéreraient eux aussi cette mort tragique comme un simple accident. En toute rigueur, sa mission était de protéger Aliya, non ? Des Mercenaires du Chaos, certes, mais aussi de certains Marchombres belliqueux... Si toute la guilde apprenait la vérité, alors certains aux intentions malsaines pourraient se servir de cette raison pour réclamer vengeance. Un motif de discorde, ce n'était clairement pas ce dont la guilde avait besoin en un tel moment. Alors, tandis que le sang quittait son visage pendant le discours de Miwe Nadilar, il avait décidé de se taire. Sachant pertinemment que ce mutisme lui attribuerait le rang de traître à la guilde si le voile du mensonge venait à être levé.

En attendant, Aksel allait être en retard à son rendez-vous. Parce qu'il y avait une faille dans la stratégie de Miwen Nadilar : le but était de faire en sorte que la cachette d'Aliya reste secrète le plus longtemps possible. Alors révéler que lui, jeune apprenti, savait comment la joindre devant un public très attentif, dont on ne savait pas qui était susceptible de traîtrise, ce n'était pas l'idée du siècle... A moins que ce ne soit une stratégie double, et que la membre du Haut Conseil ait assigné à d'autres Marchombres avertis la tâche de le suivre à distance, afin de repérer les Marchombres dissidents ayant décidé de le pister jusqu'à leur victime ? Dans tous les cas, si Miwen Nadilar savait ce qu'elle faisait, il n'y avait pas de souci à se faire. Mais si, contre toute attente, elle était dans le mauvais camp... C'était à ne pas espérer.

Toujours est-il que le jeune homme avait pris du retard en tâchant de tout faire pour ne pas être repéré ni suivi ; ce qui impliquait de ne pas emprunter les toits (ce qui lui aurait conféré davantage de rapidité), de vérifier régulièrement ses arrières sans avoir l'air louche, et de choisir les endroits les plus surpeuplés pour se déplacer. Il avait même utilisé Pichu comme leurre, en pensant que sa perruche pourrait attirer ailleurs les éventuels malfrats. Il faut dire que pour attirer l'attention, Pichu excellait, même involontairement : en s'envolant, il avait réussi à roussiller son plumage en frôlant d'un peu trop près un brasero, ce qui s'était suivi d'une multitudes de piaillements qui avaient attiré l'attention de tous les arpenteurs de la rue.

Enfin, après avoir gravi rapidement les marches d'un petit escalier pavé, Aksel aboutit sur la place où il avait fixé le point de rendez-vous. Comme prévu, il avait un peu de retard, donc logiquement, si elle avait reçu son message et n'avait pas eu d'ennuis sur le trajet ou pour trouver la place, Aliya devrait déjà être là. Et Yaaleen aussi.

La demi-faël balaya rapidement la place du regard. La jeune fille brune se trouvait à l'autre bout de la place, installée dans un coin d'ombre. En l'apercevant, le visage du garçon s'éclaira d'un sourire lumineux, et il avança à sa rencontre. Elle avait bien meilleure mine que lors de leur dernière rencontre ; visiblement son séjour à l'auberge lui avait fait du bien. Il faillit l'appeler par son prénom, puis se ravisa en se remémorant son pseudonyme. //

- Dayâan ! la salua-t-il. Comment vas-tu ?

// Il fronça les sourcils en scrutant furtivement les alentours. Aucun signe de la Marchombre qui devait les rejoindre. //

- Yaaleen n'est pas encore arrivée ?

// A en croire les paroles de Miwen Nadilar, Yaaleen et Aliya s'étaient déjà rencontrées - la jeune fille devait donc savoir de qui il parlait. //

[Katleen Makerley]

// Depuis sa rencontre avec Aliya et le discours de Miwen Nadilar, Yaaleen ne cessait de penser à la situation actuelle. A savoir la nouvelle guerre en préparation entre les Marchombres et les Mercenaires du Chaos. Elle avait l'impression qu'ils faisaient un pas en arrière dans l'histoire et qu'ils se retrouvaient à la soit-disante extinction des mercenaires à l'époque de Ewilan, la fameuse dessinatrice, et Ellana, la célèbre marchombre.

Quand ils avaient appris de qui venait la traitrise, la brune n'avait pas même pas été étonnée. Elle n'avait jamais fait confiance à Idril Elenwë. Cette dernière avait été contre le fait d'élever Yaaleen au rang de marchombre. L'ancien maitre de celle-ci n'avait pas compris la raison et avait tout simplement ignoré son avis. De toute façon elle n'avait pas été la seule à avoir un avis là-dessus et elle n'avait pas décidé de l'avenir de Yaaleen.
La marchombre avait donc une dent contre la traitresse. Et elle ferait tout pour la retrouver et la faire juger.

Yaaleen pensait à tout ça sur le chemin. Elle était en route pour retrouver Aliya et Aksel. Ce dernier lui avait fait parvenir une missive. Il voulait parler de la situation avec une des principales concernées. La brune s'étant dévouée à protéger la jeune fille avait été convoquée aussi. Yaaleen ne connaissait pas bien Aksel mais elle savait que c'était une bonne personne. Ses intuitions ne la trompaient jamais.

Elle était en retard. Elle avait vérifié que la chambre qu'elle louait à l'auberge où elle était descendue était bien fermée. Il fallait absolument qu'elle fasse attention et reste sur ses gardes. Tout le monde la savait après les mercenaires et elle savait que ceux-ci pouvaient la menacer et la pourchasser pour ça. Mais elle assumait.

Elle arriva sur la petite place du rendez-vous et aperçut Aksel et Aliya en train de discuter. Ils semblaient déjà bien s'entendre ce qui était en soi une bonne chose. Un soutien de la taille de l'apprenti n'était pas rien. //

- Bonjour. Je tiens à m'excuser pour ce retard.

// Elle était toujours dans le solennel, respectant chaque personne à qui elle s'adressait. Pourtant, ils étaient jeunes, ils auraient pu comprendre. Cependant, plus jeune, Yaaleen n'aimait pas qu'on la dénigre ou qu'on la respecte moins à cause de son âge, elle ne faisait donc pas subir le même sort aux jeunes d'aujourd'hui. //

- Vous avez déjà abordé le sujet principal de notre rencontre ? demanda-t-elle tout en scrutant les alentours pour vérifier que personne ne les observait.

[Elerinna Calaelen]

// Aksel s'approcha d'elle pour la saluer comme une vieille amie. Était-ce ce qu'ils étaient devenus maintenant ? De vieux amis ? Pour des raisons que les circonstances expliquaient, il n'avait pas prononcé son véritable prénom, mais le ton y était. La chaleur de sa voix avait toujours eu le don de l'apaiser, très peu, mais toujours plus que si elle avait dû affronter seule les évènements. A tout bien y réfléchir, il était le premier ami qu'elle n'ait jamais eu. Lui avait sûrement dû s'étonner plus d'une fois de la difficulté qu'elle avait à le croire, à lui faire confiance. Mais quand on regardait de l'autre côté du miroir en se plongeant dans la tête d'Aliya, ça n'était en réalité pas bien étonnant. Comment une personne qui n'aurait pas la moindre notion du mot amitié jusqu'alors puisse offrir sa confiance au premier regard ? Impossible.

En fait, elle ne savait même pas si sa relation avec Aksel devait être définie par ce mot. Amitié. Elle ressentait quelque chose à son égard, voilà tout. Quant à savoir quoi ... De la gratitude, bien entendu. De l'admiration, un petit peu, il fallait bien l'admettre. Mais la question n'était pas vraiment là, et elle se féliciterait plus d'être encore en vie pour pouvoir se la poser. //

- Yaaleen n'est pas encore arrivée ?

// Comme une annonce prémonitoire, la brune arriva à sa suite peu de temps après qu'il ait terminé sa phrase. Puisqu'on était dans le relationnel, autant se poser la question : et que ressentait-elle à son égard ? Elle l'avait rencontrée il y a peu, et s'était montrée aussi méfiante que faire se peut. Olörin avait d'ailleurs plutôt bien contribué à cette atmosphère. Mais elle devait bien avouer que Yaaleen avait l'air respectée parmi les marchombres, et qu'elle semblait vouloir le bien de sa famille.

Quoi qu'il en soit, ni à l'un ni à l'autre elle ne se sentait de confier son idée. Un simple plan, pas même un projet. Ça ne se réaliserait peut-être jamais de toute façon. A quoi bon leur en parler maintenant ? Les inquiéter inutilement ? Ils n'avaient pas besoin de ça. Non, c'est décidé, elle ne ferait pas part de ses réflexions aux deux marchombres. //

- Bonjour. Je tiens à m'excuser pour ce retard. Vous avez déjà abordé le sujet principal de notre rencontre ?

- Non pas encore. Nous t'attendions.

// Aliya ne savait pas si Yaaleen était au courant de sa nouvelle situation, de son nom d'emprunt et de sa chambre à l'auberge. Aksel lui avait peut-être expliqué... ou peut-être pas. La brune n'avait pas connaissance de la relation qu'entretenaient les deux jeunes gens. Se connaissaient-ils avant d'être liés à elle ? //

[Thalia Gilsayan]

// A peine avait-il posé la question qu'une jeune femme vêtue de cuir se joignit à eux. //

- Bonjour. Je tiens à m'excuser pour ce retard. Vous avez déjà abordé le sujet principal de notre rencontre ?s'enquit Yaaleen.

- Non pas encore. Nous t'attendions. répondit Aliya.

// La brune n'avait pas employé de ton particulièrement sympathique ou enjoué, juste neutre, ce qui laissa Aksel penser que bien qu'elles se soient déjà rencontrées, les deux filles se connaissaient très peu. Lui-même ne connaissait pas du temps Yaaleen, mais il lui faisait confiance, car il faisait confiance an jugement de Miwen Nadilar. La Marchombre était jeune, mais n'en dégageait pas moins une aura de tranquille puissance, en accord avec la détermination qui se lisait dans son regard. //

- Bonjour Yaaleen, fit-il à son tour en souriant.

// Mais il fallait en venir aux faits. L'objet de la rencontre n'était pas une information confidentielle qui devait se rendre quérable par l'orpheline, puisqu'il lui avait justement donné rendez-vous pour le lui annoncer clairement. L'apprenti marchombre baissa la voix, de sorte qu'elle ne porte qu'à distance de fines ouïes de son auditoires, et que son annonce ne vienne pas s'égarer dans des oreilles indiscrètes. De toute manière, Yaaleen était en train d'aurer un éventuel danger. //

- Nous avons la confirmation que les Mercenaires du Chaos sont à l'origine des meurtres, confia-t-il à Aliya. Deux Marchombres ont été retrouvés mort dans une ruelle, avec une revendication de meurtre de leur part...

//Mal à l'aise, il embraya vite pour changer de sujet le plus rapidement possible, en espérant que Yaaleen ne se pose pas de questions. //

- Bref. Les mercenaires du Chaos font leurs emplette parmi les rangs Marchombres et tuent ceux qui refusent de les rejoindre. Tout porte à croire qu'ils sont encore à ta poursuite, alors Yaaleen moi avons officiellement été désignés garants de ta protection et de celle de ta fratrie.

// Il attendit la réaction de la brune, tout en jetant un regard à Yaaleen, dont il ne parvenait pas à déchiffrer l'expression, au cas où elle jugeait nécessaire d'ajouter autre chose. //