Les rues d'Al-Jeit

[Thalia Gilsayan]

// Aksel progressait rapidement sur la paroi verticale de la Porte d'Améthyste. Il ne s'offrait pas le luxe d'hésiter quelques instants ; sinon ses doigts s'engourdiraient, et l’ascension deviendrait alors beaucoup plus difficile. Alors, prise par prise, il grimpait. Il avait ça dans le sang. C'était l'un des seuls précieux dons que lui avait laissé sa mère avant de l'abandonner. Être demi-Faël, ça avait quelques avantages.

Il était arrivé au quart de la montée. Sûr de lui, il crocheta une prise de sa main gauche, et glissa ses doigts dans une fente recouverte de mousse gelée. //

- Tu devrais faire attention, tu vas tomber. Ta prise n'est pas très sûre... le héla une voix féminine.

// Pris au dépourvu, le jeune homme tourna brièvement la tête. Cette seconde d'inattention lui coûta. Ses doigts glissèrent sur la mousse, et, déséquilibré, son corps pencha dangereusement dans le vide. Alarmé, il s'accrocha à une pierre mal ajustée et parvint à se recoller contre la paroi. Il avait eu chaud. Soufflant un coup, il trouva des prises confortables, puis jeta un coup d’œil en bas.

C'était une jeune femme qui l'avait appelée. Debout au pied de la Porte, elle l'observait attentivement. Un sourire énigmatique flottait sur ses lèvres, légèrement ironique. Elle dégageait dans sa posture une grâce assez sauvage et, même d'ici, il sentait son aura particulière, semblable à celle de certains clients que le demi-Faël avait eu l'occasion de voir dans l'auberge. Il sut instantanément qui elle était, ou du moins le pressentit. Une marchombre. Son cœur bondit dans sa poitrine. Il était rare de rencontrer des membres de cette guilde très secrète. Pourtant, cette femme en faisant indéniablement partie. Était-il possible qu'elle l'ait remarqué ? //

- Tiens, vous vous y connaissez en escalade ? lança-t-il ironiquement, même si la réponse tombait sous le sens.

[Riverelle]

// Sous le coup de la surprise, le jeune homme se retourna légèrement, mais suffisamment pour être déséquilibré. Il bascula en arrière. Sissi le fixa, sans amorcer un geste pour l'aider, curieuse de voir comment il allait s'y prendre.
Il la surprit.
Dans un geste d'une vivacité rare chez ceux qui ne suivaient pas la Voie, sa main crocheta une pierre, et il se redressa aisément, même si ses doigts légèrement tremblants dévoilaient le sursaut effrayé qu'il avait eu. Mais ses mains trouvaient les prises, avec un naturel que Syane ne voyait pas souvent.
Il finit par pivoter de la tête et regarder sous ses pieds. Il la scruta un instant, puis il ouvrit la bouche : //

- Tiens, vous vous y connaissez en escalade ?

// Le ton était ironique, presque moqueur, mais la rouquine ne s'en formalisa pas. Elle ne répondit pas, préférant l'observer un peu plus en détail.

Son visage avait l'expression d'un ange, le visage innocent de celui qu'on ne soupçonnerait jamais, mais qui est le plus souvent responsable de toutes les bêtises qu'une garçon pourrait faire. Ses traits fins, légèrement redressés, montraient un tempérament aventureux et moqueur. Les commissures de ses lèvres étaient imperceptiblement étirées, dans un sourire perpétuel qui marquait sa joie de vivre.
Mais ses yeux, surtout, s'immortalisèrent dans son esprit. Ils étaient plus noirs qu'une nuit sans lune, et ils brûlaient d'un feu ardent. Le garçon en le savait pas encore. Mais ils brillaient d'une lueur fiévreuse, presque démente, ils brasillaient comme elle ne l'avait jamais vu de cette volonté féroce, sauvage, bestiale, d'être libre. Ils flamboyaient d'une lumière avide, vorace et farouche, qui dévorait sa conscience au point qu'il se débattait en lui-même comme un oiseau dans une cage trop petite, sans même s'en rendre compte.

Cette envie violente que ses yeux clamaient lui était familière. Car elle l'avait vécu aussi. Elle avait vécu ses instants.
... Promesse de l'avenir, puis un chuchotement dans le froid de l'hiver : //

- Tes yeux.

// Elle continuait de sourire, mais il se faisait plus mystérieux, plus prenant. //

- Ils hurlent. À la liberté...

// Elle le savait. Ces mots avaient franchi ses lèvres sans qu'elle n'ait à le commander. Parce qu'elle le savait, au plus profond d'elle-même. //

[Thalia Gilsayan]

// La jeune femme ne répondit pas à sa question, qui de toute manière était totalement inutile. Elle conservait son sourire de plus en plus mystérieux, et son regard le transperçait aussi efficacement qu'une flèche en acier trempé. Il y eut un moment de silence, pendant lequel Aksel attendit, plus attentif qu'il ne l'avait jamais été, que la Marchombre lui parle, lui fasse un signe, ou même reparte, mais cette possibilité n'était pas parmi ses préférées.
Mouvement du lèvres.
Murmure.
Deux mots, portés par le vent, qui s'envolent.
Que la brise lui chuchote à l'oreille. //

- Tes yeux.

// Fasciné, la garçon attendit la suite. Il aurait été incapable d'en faire autrement. La Marchombre, en l'espace d'une seconde, l'avait entièrement captivé. //

- Ils hurlent. À la liberté...

// Aksel sourit, toute méfiance envolée. Serein. Si cette femme avait eu des intentions hostiles, voilà bien longtemps qu'il ne serait plus de ce monde.

La poésie des mots l'avait profondément touché. Elle était même venue chatouiller en lui un sentiment, pourtant bien présent, dont il n'avait jamais vraiment pris conscience, mais qui, lentement, se réveillait. Une étincelle au fond de son cœur. Cette étincelle qui, au moment venu, provoque irrémédiablement l'explosion. Une étoile dansant brièvement dans son regard. Une lueur d'espoir. L'espoir de brises ses chaînes. Quelles chaînes ? N'avait-il pas toujours eu l'impression d'être libre ? Mais l'était-il vraiment ?

Le demi-faël quitta la paroi. Il serait bien plus difficile de discuter s'il restait perché à mi-chemin entre la terre ferme et le sommet de la Porte. En une quinzaine de secondes, il atterrit souplement au pied du mur, à quelques mètres de la jeune femme.

Pas très grande, le dépassant seulement d'environ cinq centimètres, et très fine, la Marchombre avait de long cheveux roux, des yeux bruns, la peau pâle constellée de quelques tâche de rousseur, des lèvres roses, un petit nez et des sourcils bien dessinés. Des vêtements de cuir bleu foncé enveloppaient son corps à la silhouette fine, à l'apparence presque frêle, mais gare à celui qui s'y fierait. Quant à ses bottes, elles étaient faites de métal, troqué contre du cuir au niveau des articulations, et à la pointe assez fine, probablement pour favoriser l'escalade.

Cette femme était incontestablement une redoutable combattante, mais l'éclat de ses yeux reflétait la finesse et la liberté de son âme. Aksel en fut impressionné. Est-ce que tous les marchombres étaient comme cela ? Ceux qu'il avait rencontré à l'auberge étaient, dans ses souvenirs moins... enfin, ils n'avaient pas eu tant d'effet sur lui. //

- Qui êtes vous ? Que venez-vous faire à Al-Jeit ? demanda-t-il, en ne cachant pas sa curiosité.

[Riverelle]

// Le garçon étira ses lèvres en un sourire plus étincelant qu'un soleil. Tout, dans son attitude, dévoilait son calme et sa parfaite placidité, toute tension exclue de ses membres. Cela plut à la Marchombre, mais elle préféra ne rien montrer.

Soudain, le jeune garçon, dans la souplesse d'un mouvement bien des fois répété, il se laissa tomber à terre, atterrissant à quelques pas de la rouquine. Mais il ne s'avança pas. Il l'observa longtemps, elle le regarda aussi, lui et ses yeux noirs, lui et son sourire éblouissant, et se dressait en l'esprit de la jeune femme un tableau gris : une figure pâle et face aux ténèbres, avec pourtant une joie émouvante au milieu du brouillard amer d'une liberté factice ; il était cette silhouette heureuse et amoureusement torturée, il était la dissonance de cette âme souriante étriquée entre ses maillons. Il était un corps exsangue sous le métal de ses chaînes de velours.
Syane tordit ses lèvres en un rictus douloureux, l'abjection de l'injustice traçant un chemin sulfureux dans son cœur. //

- Qui êtes-vous ? Que venez-vous faire à Al-Jeit ? demanda le jeune homme avec une curiosité un peu avide.

// Syane leva les yeux vers le ciel pers, cherchant la brume nacrée sous les rayons hivernaux. Elle ferma les yeux, les cheveux dans le vent, et répondit, doucement : //

- Qui je suis... Je m’appelle Syane Aelys Toryëll Löerheim, tu peux dire Syane aussi.

// Elle rouvrit les yeux et regarda les entrelacs délicats que formaient ponts et passerelles, l’assaut séduisant des tours vers les nuages, les paupières vermeilles du soleil qui s'entrouvrent sur la lumière, les branches des arbres dans leur glacis d'argent. Puis continua : //

- Je n’aurais jamais pensé que je devrais avoir une raison de me rendre à Al-Jeit, autre que pour l’admirer.

// La jeune femme se tourna de nouveau vers le garçon, avec un sourire. Et ce sourire était porteur de promesse. //

- Quel est ton nom ?

// Elle avait murmuré ces mots, et en même temps elle le regardait encore, ce jeune homme qui dégageait cette aura violente de volonté, qui souriait à la laideur de son existence, et qui avait besoin de se libérer. Les chaînes se fragilisent en ces instants. Syane ne put retenir cette petite lueur d'espoir, où peut-être ce début de lien particulier qui se tisse dans l'appréciation de l'âme et dans les dégâts d'une vie sans saveur, qui naît d'une rencontre et ne meurt jamais, qui vient, dans un chuchotement câlin, sceller une demande et une promesse. //

[Thalia Gilsayan]

// La Marchombre prit son temps pour répondre. Elle leva les yeux vers le ciel, ferma les paupières, laissa danser quelques mèches rousses au gré du vent, laissa le soleil embraser sa chevelure flamboyante de ses rayons lumineux. Parut chercher une réponse dans les nuages, éparpillés parmi cet océan infini d'azur les surplombant. Offrit sa réponse dans un murmure. //

- Qui je suis... Je m’appelle Syane Aelys Toryëll Löerheim, tu peux dire Syane aussi.

// Syane. Ce simple nom suffirait. Les trois autres n'étaient que complémentaires. Un seul mot permettait de définir une personne, et cette définition dépendait des sentiments, des promesses, des espoirs que l'on plaçait entre les lettres, pas de leur nombre ou de leur ordre. Syane. Le nom ne faisait déjà plus qu'un avec la jeune femme. Syane. Crinière de feu, panthère des ombres, danseuse de nuit, âme lumineuse. //

- Je n’aurais jamais pensé que je devrais avoir une raison de me rendre à Al-Jeit, autre que pour l’admirer.

// Syane ancra son regard noisette dans les yeux d'Aksel, en esquissant un fin sourire. Un sourire qui voulait tout dire. //

- Quel est ton nom ?

// Quelqu'un lui avait-il déjà demandé son nom ? Oui. Probablement. Plusieurs fois. Mais il n'avait jamais répondu. Habituellement, il prétendait s'appeler Pichu. C'était faux bien sûr. Car c'était le nom de sa perruche qu'il offrait aux étrangers qui le lui demandaient. Aussi, rare étaient ceux qui connaissaient son vrai prénom... Le révéler était pour lui comme donner une part de son identité, un petit fragment de son âme. Un don précieux qu'il ne faisait pas à n'importe quel inconnu. Pourtant, cette fois-ci, il ne songea même pas à s'esquiver. //

- Aksel Tzâfihyr. répondit-il sans hésiter.

// Il eut l'impression d'avoir avancé. D'avoir fait un premier pas sur un chemin dont il ignorait l'existence. Et, sans qu'il sache comment, il savait que c'était lié à cette femme qui lui faisait face. Un dessin se forma dans son esprit. Un couloir, sans fin, s'enfonçant dans la pénombre. Il était dans ce couloir. A sa droite, une porte s'ouvrait dans le mur. Derrière cette porte, il pouvait sentir le parfum de l'évasion, de la liberté. Toute son âme lui criait d'ouvrir la porte. Mais seul, il ne pouvait pas. Quelqu'un devait lui ouvrir, de l'autre côté. Par la fenêtre, il y avait cette femme, Syane. La main posée sur la poignée. //

[Riverelle]

- Aksel Tzâfihyr.

// Il avait prononcé ces deux mots immédiatement, sans la moindre hésitation. Son visage s'ouvrait, comme si ses chaînes se disloquaient, et la lueur dans ses yeux semblait hurler plus fort que jamais.
Aksel Tzâfihyr.
C'était un beau nom.
Aksel...
La jeune femme, silencieusement, se rapprocha du garçon, releva son menton du bout du doigt, plongeant le regard noir dans le sien, et lui dit, presque dans un chuchotement : //

- Ecoute-moi bien, jeune Aksel. Dans ce monde, beaucoup possèdent des tas et des tas de vertus, comme la beauté, l’intelligence ou la force. En revanche, il existe une chose que l’on méprise et que l’on convoite sans savoir ce dont il s’agit vraiment. C’est la liberté.

// Elle laissa le mystère envahir ses prunelles noisettes et recula sans le quitter du regard, avant de s’accroupir sur ses talons. Et elle imita les gestes d’Helyna, son Maître Marchombre, avec l’impression que, pour la première fois de sa vie, ils ne pouvaient être plus purs, plus parfaits.

Elle sortit un poignard, et grava dans la glace, en tout petit, le mot synonyme de la liberté :

Marchombre.

La jeune rousse prit la main d’Aksel et l’attira à elle, pour lui faire déchiffrer les inscriptions. //

- La Voie - on sentait le « v » majuscule dans sa voix - des Marchombres est particulière. Elle est abrupte et difficile. Elle est l’ombre et la lumière. Et elle te mènera à la liberté.

// Syane lâcha la main d’Aksel, et le regarda avec une attention rare. //

- Trois ans, Aksel Tzâfihyr. C’est ce que je te demande, ce que je t’offre, et ce que toi, tu m’offres. Trois années de ta vie durant lesquelles tu devras m’obéir, que cela te plaises ou pas.

// Elle le dévisagea de nouveau. Son sourire avait presque disparu, et ses traits se faisaient plus graves. //

- Il y a des jours où la vie prend des tournants. Ces tournants, c’est toi et personne d’autre qui décide de les emprunter. Cette décision te revient en tout point. C’est toi qui décide de ton destin.

// Elle grandit, ce jour-là. Elle grandit et elle était sûre qu’Aksel avait grandi aussi. //

[Thalia Gilsayan]

// Le garçon crut voir un étincelle pétiller dans le regard de Syane, avant que celle-ci ne s'approche en quelques pas de danse, à la fois sûrs et volatiles. Elle posa un doigt sur son menton et le releva quelque peu, de sorte que leurs regards soient à la même hauteur l'un de l'autre. Puis elle reprit la parole avec douceur. //

- Ecoute-moi bien, jeune Aksel. Dans ce monde, beaucoup possèdent des tas et des tas de vertus, comme la beauté, l’intelligence ou la force. En revanche, il existe une chose que l’on méprise et que l’on convoite sans savoir ce dont il s’agit vraiment. C’est la liberté.

// Aksel attendit, suspendu à ses lèvres. Chaque mot que le jeune femme prononçait s'imprimait en lui comme une vérité incontournable et éternelle. Il n'en perdait pas une miette.
Elle recula un peu, puis s'accroupit, et sortit un poignard, qu'elle approcha de la glace. Elle grava alors quelque chose. Une lettre. Puis une autre. Un mot. A l'envers, difficile de le comprendre, mais avait déjà deviné sa signification lorsque Syane lui prit la main pour lui faire déchiffrer son oeuvre. Marchombre. La glace devint porte, qui portait sur elle cette inscription lumineuse. Cette porte, sur le point de s'ouvrir. Son échappatoire. Il allait enfin pouvoir quitter le couloir monotone de sa triste existence.

- La Voie des Marchombres est particulière. Elle est abrupte et difficile. Elle est l’ombre et la lumière. Et elle te mènera à la liberté.

// Le tableau se modifia dans son esprit. La porte était à présent entrebâillée. Et à travers la fente, on pouvait distinguer un fil. Suspendu dans le vide. Au bout, la lumière, plus attirante que jamais. Autour, les ténèbres. C'était cela, la voie. Ou plutôt, la Voie - la Marchombre n'aurait pas mis autant d'intonation sur la première lettre s'il n'y avait pas de majuscule. Il n'avait pas peur de tomber dans l'obscurité. Il savait qu'il ne tomberait pas. //

- Trois ans, Aksel Tzâfihyr. C’est ce que je te demande, ce que je t’offre, et ce que toi, tu m’offres. Trois années de ta vie durant lesquelles tu devras m’obéir, que cela te plaises ou pas.

// Syane prit un air très sérieux. Aksel n'en revenait décidément pas... Lui proposait-elle vraiment de le guider sur ce fil menant à la liberté ? Trois ans, ce n'était rien. Il en avait rêvé pendant longtemps, comme un enfant innocent qui rêve de rencontrer le Père noël dans son traîneau volant. L'occasion se présentait enfin... C'était... incroyable. //

- Il y a des jours où la vie prend des tournants. Ces tournants, c’est toi et personne d’autre qui décide de les emprunter. Cette décision te revient en tout point. C’est toi qui décide de ton destin.

// La Marchombre le regarda d'un air qu'il estima confiant, et il lui sembla que ses yeux brillaient d'émotion. Un souvenir, ou la pensée qu'elle allait peut-être enseigner à son tour ? Un jour, elle avait du être à sa place, elle aussi. Être l'élève d'un illustre maître marchombre. Maître qu'elle était sur le point de devenir. Car Aksel avait la ferme intention d'accepter son offre.

Toutefois, son père avait été commerçant. Et il travaillait dans une Auberge. Globalement, il avait toujours baigné dans le monde du commerce. Et même s'il trouvait cela terriblement ennuyant, il avait quand même appris une chose, c'était à ne pas lancer trop vite son accord. Prendre le temps de réfléchir d'abord.

Qu'allait-il perdre en consacrant trois ans de sa vie à un tel apprentissage ? Son emploi, mais ce n'était certainement pas ça qu'il regretterait. Depuis qu'il travaillait à l'auberge des Joyeuses Rillettes, il n'avait jamais reçu ni une augmentation dans son misérable salaire, ni une quelconque marque d'affection. En fait, tout le monde dans l'établissement l'ignorait. C'était à peine s'ils lui disaient bonjour.
Des amis, il n'en avait pas. De véritables amis en tout cas. Le problème était réglé.
Les toits, les rues, la magnificence d'Al-Jeit... Mais la jeune femme l'emmènerait sûrement en voyage au quatre coin du monde et, coup de bol, il adorait ça. Ce n'était bien sûr pas le but premier de son engagement, mais un bon point réellement présent et non négligeable !
Niham, sa grand-mère... Qui prendrait soin d'elle pendant son absence ? Qui la protégerait ? Qui veillerait sur sa santé ? La vieille dame l'avait toujours élevé avec l'amour de la mère qui l'avait abandonné. Il l'aimait sincèrement. Profondément. Il ne voulait pas la laisser seule...

Son regard se releva vers les prunelles noisette de Syane qui le fixait toujours, attendant sa réponse. Il reprit confiance. //

- Je ne vous cache pas que votre offre est fortement intéressante, commença-t-il en souriant, mais j'aimerais d'abord donner quelques conditions avant d'accepter...

// Réalisant soudain ce qu'il venait de dire, il se corrigea sur-le-champ. Ce n'était pas lui qui posait les conditions. //

- Enfin, pas vraiment des conditions, juste... régler certaines choses... Il faut que je prévienne une personne à laquelle je tiens beaucoup que je vais partir. Et puis...

// Il hésita un peu, avant de se lancer. Ce serait bête de ne pas demander. //

- Ça me ferait vraiment de la peine de laisser chez moi ma perruche, sans personne pour prendre soin d'elle... Pensez-vous qu'elle pourrait m'accompagner ? Elle ne sera pas bien encombrante.

[Riverelle]

// Les yeux sombres d'Aksel scintillaient, reflétant, comme le plus poli des miroirs, les moindres facettes de ses émotions. Surprise, excitation, légère anxiété, mais une volonté de fer. Tout cela se mêlait au fond de ses prunelles de nuit. Sa détermination en béton fit presque peur à la Marchombre. Savait-il réfléchir avant d'agir ? Une décision telle que celle-ci allait radicalement changer toute sa vie. Il fallait qu'il sache vraiment dans quoi il se lançait. Dans quel couloir il allait poser son pied.
La rouquine refusait d'apprendre à un élève dans la contrainte et l'obligation. Où ledit élève se trouverait ainsi contre son gré, après s'être rendu compte à quel point les reliefs de la Voie étaient pentus. Qu'il regrette son choix mais, les mains liées par cette décision promise à la hâte, ne puisse s'en libérer. Que voix soit un fardeau sur ces épaules. C'était hors de question.
Mais elle ne voulait pas intervenir. Elle lui faisait confiance.
Il avait de ces yeux, ce garçon. Des yeux passionnés. Intelligents. Syane les scruta sans rien dire, respectant son silence et cet instant de réflexion.

Il ouvrit la bouche : //

- Je ne vous cache pas que votre offre est fortement intéressante, mais j'aimerais d'abord donner quelques conditions avant d'accepter...

// La rouquine resta de marbre, interdisant à ses pensées et ses émotions de transparaitre sur son visage. Elle ne devait pas l'influencer.
Toujours silencieuse, elle attendit la suite. //

- Enfin, pas vraiment des conditions, juste... régler certaines choses... Il faut que je prévienne une personne à laquelle je tiens beaucoup que je vais partir.

// Cette fois-ci, Syane laissa un petit sourire triste étirer ses lèvres. Elle comprenait le jeune homme, et compatissait aussi. Elle n'avait pas eu à endurer cette partie. Ce choix. La liberté a des prix. Abandonner ses proches était la plus dure.
Les bas-fonds étaient la chose qui la terrifiait. Qui la dégoûtait le plus. Les pierres huileuses. La crasse suintante qui infectait l'humain. L'essaim de ces êtres squelettiques et décharnés, coquilles vides tout juste animées par ces âmes torturées et torturées, qui ne criaient même plus, qui ne hurlaient même plus. Qui, presque vives, presque mortes, avaient appris par coeur le déroulement de leur pitoyable vie. "Vie"... Un bien grand mot. Une demi-vie serait plus juste. Cette demi-vie, on ne la cherchait pas. On ne cherchait plus rien. On attendait la mort, patiemment, très patiemment. Ce souffle visqueux, tangible, qui empoisonnait les sens et les esprits. Qui tuait les espoirs sans que la plus petite résistance ne vienne se dresser sous la violence de ses coups. Même plus mortels, ces coups. Cela n'en valait pas la peine. Aucune de ces créatures semi-vivantes ne méritait la chance de voir cet enfer enfin cesser.
Tout cela, elle l'avait détesté, elle l'avait haï comme jamais, et elle le haïssait encore aujourd'hui. Rien n'aurait pu la retenir dans cette prison abjecte, ni un parent, ni un ami. Elle n'avait pas eu ce regret, ne ce choix à effectuer. //

- Et puis... Ça me ferait vraiment de la peine de laisser chez moi ma perruche, sans personne pour prendre soin d'elle... Pensez-vous qu'elle pourrait m'accompagner ? Elle ne sera pas bien encombrante.

// Syane secoua légèrement la tête pour se remettre les idées en place, avant de lui adresser un clin d'oeil malicieux. //

- Vas-y, je t'attends ici.

// Elle n'avait pas envie de venir gêner ces au revoir en encombrant Aksel avec une présence trop indiscrète. C'était intime. Elle n'avait pas le droit. //

[Thalia Gilsayan]

- Vas-y, je t'attends ici, dit Syane avec un clin d'oeil.

// Aksel adressa un sourire de remerciement à la jeune femme, puis s'élança. Il n'habitait pas très loin d'ici, mais autant de pas perdre de temps. Il n'allait pas laisser poireauter la Marchombre pendant une heure. Sa petite course réchauffa en partie ses muscles engourdis par le froid, mais il ne fut pas mécontent lorsqu'il pénétra dans la douce chaleur de la maison. //

- Mamie ? appela-t-il.

// Personne ne lui répondit. Un peu inquiet, il se dirigea vers le salon, d'où l'on entendait les crépitements du feu dans la cheminée. Son sourire s'attendrit en découvrant la veille femme endormie sur sa chaise à bascule, tenant dans les mains un tricot inachevé. En même temps, une boule se forma dans son ventre. Niham était vieille et fatiguée, le temps où elle pouvait s'occuper de tout elle-même était révolu. Il s'en voulait de s'apprêter à l'abandonner, alors qu'elle ne l'avait jamais laissé seul, elle. Mais avait-il le choix ? Ce que lui proposait la Marchombre était une occasion unique. S'il la laissait passer, il n'aurait plus que sa misérable vie pour la regretter. Sans compter que les paroles de Syane lui avaient évoqué des sentiments profondément enfouis dans son cœur, et cette soudaine envie de liberté avait soudain surgi en lui, si puissante qu'il ne pouvait l'ignorer.

Ne voulant pas réveiller sa grand-mère, car il savait pertinemment que cela rendrait les adieux plus difficiles, il attrapa silencieusement une plume et un bout de papier sur une étagère, et entreprit d'écrire un mot.

" Ma chère mamie,

J'ai trouvé un emploi dans une Taverne à Al-Vor. C'est beaucoup mieux payé qu'ici, et je serai nourri et logé par les propriétaires. C'est une occasion que je ne peux pas laisser filer. Le convoi de marchandises auquel je dois me joindre pour aller là-bas part bientôt. Tu me pardonneras de ne pas t'avoir dit au revoir en face, je ne voulais pas de réveiller. Je ne pense pas revenir avant longtemps. Peut-être que je pourrai revenir te voir de temps en temps, mais ce n'est pas sûr. Prend soin de toi.

Je t'aime.

Aksel "

Il retint une larme qui menaçait de couler le long de sa joue, puis déposa la lettre sur la commode, avant d'embrasser sa grand-mère sur le front. Voilà, c'était fait. Il allait pouvoir partir l'esprit tranquille. Ou presque.

Ensuite, il passa dans sa chambre. Pichu l'accueillit par quelques couinements joyeux, et vint se percher sur son épaule. Le garçon caressa le plumage vert et soyeux de l'oiseau du bout des doigts, en lui murmurant : //

- Allez, viens, mon joli, on part en voyage.

// Enfin, il réunit ses maigres possessions et les rangea dans un sac à dos. Il était prêt à partir. Cette petite maison allait lui manquer, mine de rien.

Lorsqu'il revint devant la Porte d'Améthyste, Syane était toujours là. Elle avait tenu sa promesse. Elle l'avait attendu. Il éprouva une vague de gratitude. Sa paranoïa l'avait poussé à penser que peut-être que tout ceci était une farce habile, mais il n'en était rien, assurément. Le jeune homme inspira une grande goulée d'air frais. C'était le moment. //

- Je suis prêt, déclara-t-il en plantant son regard dans les yeux de la Marchombre.

[Riverelle]

// Le jeune garçon lui sourit, avant de tourner les talons. Il disparut dans un tourbillon au coin d'une ruelle.
Syane s'adossa à la porte d'Améthyste et leva les yeux vers le ciel, souriant au soleil. Et dans les striations des nuages contre la bannière d'azur, elle cru lire un prénom. Aksel. À moins que ce ne soit qu'un effet de son imagination. Mais elle savait que l'imagination n'était pas synonyme d'irréel, bien au contraire. Pourquoi se persuader qu'il ne s'agissait que d'une vision qui mettait en relief ce qu'on voulait voir ?
Elle resta de longues minutes à suivre du regard les filets de nuages graciles. Un craquement de givre se fit entendre, pas très loin. Elle ramena ses yeux devant elle. Aksel était devant elle. Sur son épaule se trouvait une petite perruche de couleur verte dont les plumes, sous le soleil, se paraient de reflets dorés. Le jeune homme portait également un sac à dos. La Marchombre doutait qu'il en ai besoin, mais elle préféra ne rien dire. Elle remarqua ses yeux qui brillaient d'une émotion refoulée mais quand il parla, sa voix n'avait rien perdu de sa détermination. //

- Je suis prêt.

- Très bien.

// Elle prit le temps de réfléchir quelques secondes, avant de continuer : //

- On va partir vers...

// Les dents serrées, elle finit par lâcher la fin de sa phrase. //

- Al-Far. Tu n'as pas de cheval je crois ? Je vais t'en trouver un plus tard. Pour l'instant, on va monter Eclypse tous les deux. Suis-moi.

// Sans regarder ce qu'il faisait, elle s'élança dans la ruelle pavée, empruntant détours et embranchement sans hésiter. Les écuries n'étaient pas loin heureusement, et ils arrivèrent vite.

La rouquine détacha son étalon noir et sauta sur son dos, suivie du jeune homme. En allant vite et sans se reposer, ils seraient arrivés à Al-Far dans la nuit. Pas trop tard, espéra Syane. Car elle avait fixé un programme tout à fait intéressant pour Aksel.
Elle démarra Eclypse d'un claquement de langue et le monde se fondit dans un tourbillon coloré, autour d'un maître et de son élève... //

[RP terminé]
Suite dans les Rues d'Al-Far