Jour 23 : Trêve et fin de la grève-devenue-guerre des poils
[Une version lue du discours qui suit est disponible
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Les vainqueurs sont au nombre de 0.
De cette guerre, personne n'en sera ressorti indemne, et tous y auront laissé des poils.
Chèr.e.s chatriotes, laissez moi vous raconter cette sombre partie de notre histoire.
Alors que l'humain avait effectué la trahison extrême, après m'avoir lâchement abandonné, après avoir laissé mon écuelle vide, après m'avoir ignoré de longues minutes durant, après d'extrêmes humiliations musicales, il a fait pire encore.
Souvenez vous, lorsque je vous ai relaté la terrible bataille contre l'aspirateur, je vous avais dit que pour redorer son blason - ou tout du moins, c'est ce que je croyais - il m'avait fait offrande de ces cinq friandises.
Saviez vous ce que cela cachait ?
Un vermifuge. Un infâme vermifuge.
Et c'est ainsi que la guerre fut déclarée.
"Pas de quartier !" hurlais-je à trois heures du matin.
À sept heures, je vomissais dans ces chaussures.
Et à l'heure du déjeuner, je crachais une boule de poils devant son museau hébété.
Ce fut la plus grande de mes erreurs.
L'humain se leva de toute sa grandeur. Un regard déterminé et une assurance nouvelle guidèrent ses pas vers la salle de bain.
J'aurais dû me douter que cela finirait mal.
Armé de gants Mapa, d'une serviette aussi douce que cruelle, et d'un panier à linge, il me captura manu-militari.
Après l'intimidation, à coup d'aspirateur, il se tournait vers la torture, et je fus dépossédé de bien cinq centimètres de ma magnifique fourrure. La torture achevée, l'eau, il fit couler, et à la baignoire, il me passa.
Bien sûr, je me défendis. Hélas, mes griffes et ses avants-bras rougis n'eurent point raison de lui.
Alors, dans une ultime tentative de m'en sortir, je me tournai vers la voix de la raison et hurlai, des hurlements à fendre l'âme. Mais une âme, il n'en avait pas.
Et enfin, quand tout fut fini, quand le silence revint, les morts se comptaient par milliers. Mes poils flottaient, ça et là, au fond de la baignoire, sur le carrelage de la salle de bain, triste décors du massacre.
Il me laissa enfin m'échapper, et je me terrai au fin fond du lit jusqu'au petit matin.
Le soleil brillait haut de le ciel, et je refusais toujours de sortir de ma forteresse. Je ne voulais plus jamais avoir affaire au traître.
Il avait beau se pencher à ma hauteur et prononcer nombre de cajoleries, je n'en démordais pas.
Et c'est alors qu'il prit une décision des plus étonnantes. Il se leva et partit en direction de la tristement célèbre salle de bain.
J'entendis vrombir le monstre. Terrorisé, je reculai plus encore vers le mur. Mais rien ne vint. Le monstre vrombissait toujours, et je pouvais distinctement l'entendre poursuivre son carnage.
Puis le silence. Puis l'eau qui coule. Puis le silence à nouveau.
Et quand l'humain reparut, il était méconnaissable.
De sa barbe fournie et de la fourrure dense de son crâne, il ne restait rien.
Je crus à un hallucination. Mais lorsque le soir tomba et que j'émergeai enfin de mon refuge, il était bien là, assis sur le canapé, la tête nue.
Doucement, à pas de chats, je le rejoignis. Je ne fis aucun commentaire, mais je me lovai contre son flanc.
Je l'avais pardonné.